La créature  

Depuis que je suis toute petite j’ai toujours préféré la solitude qu’être entourée de plein de personnes. J’avais bien sûr des amis proches mais un ou deux pas plus. À l’adolescence j’ai commencé à m’intéresser à la médecine et plus particulièrement aux maladies mentales. Je trouvais ce sujet passionnant et c’est donc tout naturellement que j’ai décidé de faire des études de médecine puis de me spécialiser dans la psychologie. J’avais dans ma famille une tante dépressive et je l’avais toujours adoré alors d’une certaine façon je faisais aussi ça pour elle. Les études avaient été très longues mais j’avais finalement trouvé un emploi stable dans un hôpital un peu isolé.  

 C’était un petit bâtiment situé à côté d’une forêt que l’air hivernal rendait menaçante. L’été on y allait parfois faire des balades avec les patients motivés. Peu de gens passaient dans le coin alors il était très facile d’y observer des animaux. La journée le bâtiment semblait convivial et chaleureux grâce aux multiples familles qui venaient rendre visite à leurs proches. La façade avant de l’hôpital abritait l’espace commun et les grandes baies vitrées laissaient entrer des flots de lumière à n’importe quel moment de l’année. Le bâtiment était séparé en deux parties distinctes. La première lumineuse, pleine de couleur et de vie accueillait les patients les plus jeunes ou simplement ceux qui n’étaient là que temporairement. La deuxième était cachée aux visiteurs et les visites étaient énormément réglementée. Cette partie-là n’était pas beaucoup appréciée par mes collègues et moi. Elle renfermait les patients les plus anciens ou agressifs. Les murs étaient nus tout comme les couloirs. L’espace détente se résumait à une salle grise et morne seulement meublée d’un canapé délavé par le temps et de magazines de modes datant d’une autre époque. Il n’y avait pas de grandes baies vitrées ici mais seulement deux petites fenêtres. La plupart des patients préféraient rester dans leur chambre alors personne n’avait pris la peine de mieux aménager la pièce.  

 Une fois par mois l’équipe qui travaillait à “l’Arrière” comme on aimait l’appeler changeait avec celle de “l’Avant”. Ce mois-ci c’était donc à mon équipe de travailler à l’Arrière. La plupart redoutaient ce moment car l’ambiance était glaçante. Moi j’aimais bien cette période car je travaillais de nuit et même si le rythme était dur je n’avais pas grand-chose à faire et je pouvais alors dévorer des livres. Parmi les patients de l’Arrière il y avait un monsieur dans la cinquantaine nommé Jacob Gorman. Il était là depuis une bonne dizaine d’années mais n’avait malgré tout jamais de demande de visite. C’était un scientifique pendant la deuxième guerre mondiale et il travaillait dans le coin, selon les rumeurs les choses s’étaient terminées sur un homme devenu une chose inhumaine et dangereuse. Il avait tout de suite été très attaché à moi et c’était réciproque, la mélancolie au fond de son regard me touchait. Il était malheureusement schizophrène et avait parfois des crises pendant lesquelles il prétendait qu’une immense créature le regardait dormir depuis le pas de sa porte. Bien évidemment personne ne le croyait tout ça était absurde et il était schizophrène. Mon travail de nuit était assez simple : il consistait à veiller à ce que tout le monde soit dans sa chambre et endormi et être là en cas de problèmes, il y avait parfois quelques histoires mais les soirées étaient souvent tranquilles. Cette soirée-là était donc assez banale mis à part le fait que normalement nous étions deux mais j’étais exceptionnellement toute seule, ma collègue était restée à la maison car son fils était malade.  

 J’avais donc fait un tour de toute les chambres mais n’avais rien remarqué d’anormal, aussi j’étais retournée dans mon bureau. Je m’étais préparée une grosse tasse de café puis m’étais plongée dans mon livre. Au bout d’une vingtaine de minutes la petite lumière rouge qui indiquait qu’un patient demandait de l’aide s’alluma, c’était Jacob. J’entrai délicatement dans sa chambre, à travers la fenêtre ouverte on pouvait apercevoir la pleine lune brillant dans l’obscurité. Une brise glaciale s’engouffrait dans la pièce. Jacob m’expliqua qu’il y avait cette habituelle créature qui le regardait de puis le seuil de la porte. Il n’y avait évidemment rien. Je lui demandais pourquoi la fenêtre était ouverte en plein hiver mais il me répondit que c’était par là que la chose était rentrée. « Elle c’est sûrement ouverte à cause du vent qui souffle », pensais-je. Je restais près de l’homme en discutant jusqu’à qu’il se calme et que les premiers signes de sommeil commencent à apparaitre. Une fois de retour dans mon bureau, je m’installai confortablement dans mon fauteuil et repris ma lecture. Je fus interrompue une seconde fois lorsqu’un petit bruit me fit tourner la tête. Derrière moi il y avait seulement la machine à café et une tasse de café vide que j’étais sûre d’avoir oubliée de boire. Pensant à un effet de la fatigue ou à une souris dans les murs je me replongeais dans mon histoire. Le reste de la nuit fut assez calme même si l’hôpital dégageait une ambiance malaisante qui me mettait sur les nerfs.   

Aux alentours de quatre heures du matin alors que les premiers membres du personnel devaient arriver j’entendis un bruit semblable à des griffes grattant contre la porte. Ayant des chats chez moi le bruit ne m’alerta pas tout de suite. Quand je finis par réaliser que j’étais censée être seule et donc responsable de la seule source de bruit je finis par me lever et m’approchai furtivement de la porte. Lorsque j’eus l’oreille collée au panneau de bois le bruit griffu avait cessé mais j’entendais malgré tout une respiration qui n’était pas la mienne, on aurait dit celle d’un bête qui avait couru. Le cœur cognant je sortis mon téléphone et envoyai un message aux forces de l’ordre pour leurs signaler que quelqu’un s’était peut-être introduit dans le bâtiment. Ils me répondirent qu’ils étaient prêts à intervenir en cas de problème. Ce n’était peut-être qu’un chien errant mais mieux valait en être sûr. Prenant mon courage à deux mains je décidai d’ouvrir la porte d’un coup sec, derrière cette dernière se trouvait la chose la plus effrayante que j’aie jamais vue. Elle avait la silhouette d’un homme immense, au moins deux mètres, avec un chapeau, son corps entier semblait ne pas être réel un peu comme une ombre. Son visage était inexistant mis appart une énorme bouche qui s’étendait jusqu’à l’endroit où se trouve normalement les oreilles. À l’intérieur de l’orifice se trouvaient deux rangées de dents ensanglantées. Au bout de ce qui ressemblait à ses mains il y avait de longues griffes (au moins quinze centimètres chacune) elles aussi tachées de sang frais. Derrière cette chose toutes les portes des chambres des patients étaient ouvertes et des giclures d’hémoglobine tapissaient le sol de l’hôpital.   

Pétrifiée par la peur j’essayai de crier mais ma voix s’étrangla dans ma gorge. Les mains tremblantes je sortis mon téléphone et appelai la police. Effrayée par le bruit de la sonnerie la créature s’enfuit à quatre pattes en direction de l’aile ouest, une aile désaffectée depuis des années. Pendant la deuxième guerre mondiale cette aile était utilisée pour faire des expériences humaines, elle avait ensuite été rénovée en salle d’examen mais était tombée en ruine. Une fois les gendarmes sur place je leur expliquai tout ce qui venait de se passer. Une ambulance était également arrivée pour essayer de sauver les patients. Pendant qu’un ambulancier tentait de me rassurer trois policiers pénétrèrent dans le bâtiment pour tenter de trouver une piste ou quelque chose de suspicieux. Le sang n’avait pas disparu et des traces étranges de pas se dirigeaient vers l’aile ouest mais malheureusement elle était trop délabrée pour pouvoir continuer les recherches. On me raccompagna chez moi et un gendarme resta pour veiller sur moi.   

Quand je me réveillai au petit matin je n’étais plus chez moi mais dans une salle d’examen poussiéreuse manifestement pas utilisée depuis une décennie. J’étais nue et à côté de moi il y avait un chapeau au sol. Un goût métallique avait envahi ma bouche et mes mains étaient mystérieusement couverte de sang séché. Je me relevai difficilement et sorti de la pièce dans laquelle je m’étais réveillée. Dehors il n’y avait qu’un vieil hôpital qui tombait en ruine. Tout ce qui restait de lisible était un pan de mur indiquant “Bienvenue dans l’aile ouest”. FIN. 

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