Une prof…
Bonjour Madame, est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Madame Ben Amira, j’ai eu 35 ans il y a 3 semaines. Je fais 1m70, j’aime voyager, j’aime la folie. Je suis quelqu’un de très sociable mais de très solitaire aussi. J’aime être avec des gens, mais j’aime bien me retrouver seule. Je me suis mariée il y a 3 semaines, il y a 20 jours. Ça fait 10 ans que je suis enseignante. Avant d’arriver à Renens, j’ai travaillé dans de nombreux collèges, je me déplaçais un peu partout : Lavigny, Etoy, Gimmel, Préverenges, St-Prez.
Quel est votre rapport avec la Turquie?
Je suis née en Turquie, mais je n’y suis pas restée longtemps. Je suis arrivée quand j’avais tout juste un an.
Comment avez vous appris la nouvelle du tremblement de terre ?
Je l’ai apprise par ma soeur le lundi matin à 6:00. Elle nous a prévenus par message qu’il y avait eu un tremblement de terre. C’est mon père qui l’avait appelée pour lui dire qu’il y avait eu un tremblement de terre dans la ville voisine. A midi, mon père a rappelé pour dire qu’il y avait eu un deuxième tremblement de terre, qui cette fois avait touché notre ville.
Qu’avez vous fait juste après ?
J’étais stressée et j’ai pleuré. Parce que je ne savais pas comment allait mon papa. On n’arrivait pas à le joindre entre 12:30 et 6:30 du matin. C’était une attente interminable. C’était la panique totale. Je n’ai pas dormi de la nuit, je suis venue travailler le lendemain mais j’étais comme un zombie.
Qu’est ce que vous avez mis en place pour venir en aide à la Turquie ?
Instinctivement, j’ai eu le réflexe et l’idée de récolter un maximum de matériel et d’habits pour la Turquie. Je ne savais pas comment j’allais envoyer tout ça, mais je voulais faire quelque chose. J’ai collaboré avec des associations et l’ambassade de Turquie. On a pu remplir des gros camions à destination de la Turquie. Ma famille, mes amis et moi, on a récolté des habits et du matériel de première nécessité.
Est-ce que tout le monde peut mettre en place ces choses?
Oui, tout le monde peut le faire et tout le monde créer des associations. J’ai voulu le faire mais le délai était trop court. Tout le monde peut aider. Il y a aussi beaucoup d’élèves qui ont aidé, en amenant des habits.
Comment les choses évoluent-elles en Turquie aujourd’hui ?
C’est encore très compliqué aujourd’hui car la Turquie est très, très grande. Les 10 provinces touchées, cela représente la taille de la Suisse. Cela veut dire que les aides mettent du temps à arriver. Il y a des dégâts sur les routes, les aéroports. L’aide à donc mis du temps à être acheminée. En plus c’est l’hiver, il fait froid. Même les tentes ont mis du temps à arriver.
Et puis après avoir cherché les rescapés, il faut débarrasser les débris, les restes d’immeubles tout en faisant attention à ne pas soulever les corps qui sont encore sous les décombres. Cela prend du temps. Pour reconstruire les 10 provinces, cela pourrait prendre jusqu’à 10 ans, selon les estimations. Le président a annoncé qu’il voulait avoir relogé tout le monde d’ici 1 an. C’est l’objectif qu’il s’est fixé. Au niveau sanitaire, c’est compliqué. Beaucoup d’hôpitaux se sont aussi écroulés. Cela veut dire qu’il y a des pharmacies ambulantes, que les hôpitaux sont bondés. Aujourd’hui, ils récoltent de l’argent pour créer des centres de réhabilitation, des hôpitaux, de quoi pouvoir acheter des chaises roulantes, des prothèses, pour les personnes qui ne peuvent pas marcher.
Avez-vous prévu de retourner en Turquie bientôt?
Je serais partie le 2ème jour après le tremblement si ça n’avait tenu qu’à moi. Car il y a mon papa là-bas, mais aussi parce que je n’aime pas me sentir impuissante, démunie. De plus, j’ai un côté très humain, j’ai déjà fait des voyages humanitaires. Pouvoir me sentir utile, aller aider ces personnes, même avec un câlin, leur tenir la main. C’est important, ça me tient à coeur. Si ça ne tenait qu’à moi je partirais.
Quel est le message que vous voudriez faire passer ?
Il faut profiter des personnes qui nous entourent et de la chance qu’on a. C’est des phrases qu’on entend souvent mais ce ne sont pas des phrases bateau, ce sont des vraies phrases. On pourrait se plaindre qu’on n’a pas pu réserver le restaurant où on voulait aller manger, qu’on n’a pas reçu la dernière PS5, alors qu’il y a des personnes qui meurent de froid à -25 degrés, qui souffrent, des enfants qui ont perdu leurs parents. On doit relativiser, être reconnaissant, avoir de la gratitude par rapport à ce qu’on a. Remercier la vie de pouvoir être en vie et de respirer
Est-ce que vous avez encore besoin d’aide ?
Cela continue, maintenant on privilégie les dons financiers.
Avez-vous envoyé de l’aide vers la Syrie ?
La zone qui a été touchée est une zone islamo-conservatrice. La Syrie ne veut donc pas qu’on aide cette région. Les aides sont stoppées avant de parvenir à destination.
Est-ce que le séisme continue en Turquie ?
Il continue et il semblerait qu’il va continuer pendant 6 mois. Les répliques sont sensées être plus faibles. Mais là il y a une une réplique aussi forte que le séisme. C’est ce qui explique qu’il y ait eu autant de dégâts.
Est-ce qu’il y a eu d’autres soucis après le séisme?
Il y a eu de grosses inondations. Les immeubles et maisons en dur n’avaient pas été détruites. Mais maintenant tout a été inondé, il y a une semaine en arrière.
Votre maison a-t-elle été en partie détruite ?
Elle a été détruite, elle n’est plus habitable. Mon père a un immeuble de 4 étages, et maintenant tout est fissuré, on ne peut plus y habiter. Mon père y était au moment des deux tremblements. D’ailleurs, il n’a pas voulu nous le dire tout de suite, mais il est resté bloqué dans l’appartement. Le mur s’est effondré sur l’encadrement de la porte d’entrée, du coup ça l’a bloquée et il ne pouvait plus sortir. Il se faisait propulser d’en endroit à un autre. Il nous a raconté qu’il regardait notre gros frigo américain se balader entre la cuisine et le salon. Lors du deuxième tremblement, la porte s’est débloquée.
Quels pays sont venus en aide à la Turquie ?
Enormément de pays, peut-être une trentaine. Il y a eu les Japonais, les Coréens, l’Arménie alors que les rapports ne sont pas toujours faciles.